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Vers une doctrine française de l’IA souveraine : Structurer, encadrer, propulser

  • Photo du rédacteur: Hannan Otmani
    Hannan Otmani
  • 7 avr.
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : il y a 8 heures





Note publiée dans le cadre de la série “Doctrine de la régulation numérique” portée par Me Hannan Otmani, avocate au barreau de Paris et fondatrice du cabinet WISER AVOCATS. Cette réflexion s’inscrit dans une démarche d’éclairage stratégique des tensions entre sécurité, souveraineté technologique et libertés fondamentales.



Résumé exécutif


L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle de rupture — porté notamment par les modèles de fondation — redéfinit l’équilibre technologique mondial.


L’émergence de quelques acteurs dominants capables de capturer l’ensemble de la chaîne de valeur (modèles, données, cloud, interfaces) impose aux États un choix stratégique clair : subir, suivre ou structurer.


Alors que le cadre juridique européen (AI Act) est désormais en vigueur, la présente note propose les fondements d’une doctrine française de l’IA souveraine, à la croisée de trois impératifs :


- la souveraineté technologique, condition de l’indépendance nationale et de la résilience européenne,

- l’encadrement éthique, garant d’une IA alignée sur les valeurs de l’État de droit,

- et la compétitivité globale, levier d’influence et d’attractivité dans la course mondiale à l’innovation.


À travers trois piliers – structurer des communs souverains, encadrer les usages critiques, propulser une IA responsable – cette doctrine vise à réconcilier performance et exigence démocratique.


Elle appelle à un renforcement de la capacité stratégique de l’État, à la création d’une instance interministérielle agile et à la formulation de principes clairs pour guider l’action publique dans un moment de bascule.


1. Une doctrine nécessaire dans un moment de bascule


L’histoire technologique connaît aujourd’hui une inflexion majeure.

Après deux décennies de domination des plateformes centralisées — GAFAM et BATX —, une nouvelle ère s’ouvre : celle des modèles de fondation souverains, capables d’orchestrer non plus seulement les flux d'information, mais la production même de la connaissance, du langage et de l’action.


Dans cette nouvelle phase, la maîtrise des infrastructures cognitives devient un enjeu de puissance.


Or, la France ne peut se satisfaire d’un rôle périphérique, ni comme simple réceptrice des normes européennes, ni comme marché captif des solutions nord-américaines ou chinoises.


Elle doit s’affirmer comme productrice de normes, de modèles et d’infrastructures.

Ce choix n’est pas idéologique. Il est stratégique.


Entre un techno-libertarianisme débridé qui déresponsabilise les acteurs économiques et une vision étatiste paralysante qui bride l’innovation, une voie française est possible.

Elle suppose de poser, dès aujourd’hui, les bases d’une doctrine publique de l’IA souveraine — une doctrine claire, cohérente et orientée vers l’action.



2. Trois piliers pour une doctrine française de l’IA souveraine


a. Structurer des communs souverains


L’intelligence artificielle de rupture repose sur trois fondations indissociables : les modèles, les données et la puissance de calcul. Sans maîtrise de ces socles, aucune indépendance technologique n’est possible.

Or, dans chacun de ces domaines, l’État peut jouer un rôle de catalyseur, non comme opérateur direct, mais comme stratège, architecte et investisseur.



  • Soutenir des modèles de fondation français et ouverts.


La France dispose aujourd’hui de pépites comme Mistral ou le collectif BigScience (BLOOM), qui incarnent une IA ouverte, performante et responsable. Il est crucial de leur garantir un écosystème stable, soutenu par des achats publics stratégiques, des dispositifs de pré-commercialisation et des appels à projets structurants.


L’État peut ainsi orienter l’investissement privé, éviter la captation étrangère et renforcer un tissu industriel émergent.



  • Mutualiser les données d’intérêt général.


Dans un contexte où l’accès à la donnée devient un facteur clé de compétitivité, la puissance publique doit assumer un rôle de curateur et de garant.


Cela suppose la création d’un référentiel public de jeux de données mutualisés à très haute valeur ajoutée (santé, droit, éducation, culture), accessible aux acteurs labellisés et enrichi en continu selon des principes de transparence, de qualité et de gouvernance.


Cette “data politique” devient un levier d’accélération pour des IA d’intérêt général.



  • Investir dans l’infrastructure de calcul souveraine.


L’autonomie passe aussi par la capacité à entraîner et faire tourner des modèles à l’échelle.


Cela nécessite une montée en puissance rapide des clouds de confiance, un soutien à l’émergence de datacenters haute performance en France, et une priorité stratégique donnée à l’accès des chercheurs, startups et acteurs publics à ces ressources critiques.

L’enjeu n’est pas seulement économique, il est géopolitique.



b. Encadrer les usages critiques et sensibles


La puissance des modèles d’IA actuels ouvre des perspectives inédites dans des secteurs régaliens et sensibles — justice, éducation, santé, emploi, sécurité. Mais elle fait aussi surgir des risques de biais systémiques, d’opacité décisionnelle, de contournement des droits fondamentaux.


Face à cela, la France doit se doter d’une doctrine d’encadrement différencié, fondée non sur la peur de l’innovation, mais sur la hiérarchisation des risques et la protection de l’intérêt général.



  • Poser des limites claires dans les secteurs à impact.


Dans certains champs — instruction judiciaire, orientation scolaire, tri de candidatures, diagnostic médical —, l’automatisation ne peut être neutre. Il est impératif d’imposer des obligations fortes de transparence algorithmique, de supervision humaine, de documentation des choix de conception et d’évaluation indépendante.


L’IA ne doit jamais devenir un écran de responsabilité ou un outil de dépossession démocratique.



  • Construire une doctrine de “l’IA d’intérêt général”.


Tous les usages ne se valent pas. Il est possible — et souhaitable — de favoriser les usages vertueux de l’IA : prévention médicale, accessibilité du droit, remédiation scolaire, optimisation énergétique…


Cela suppose une doctrine claire, portée par l’État, qui distingue les cas d’usage stratégiques, identifie les freins non techniques, et les soutient via des financements et des expérimentations spécifiques.



  • Créer un label d’État ou une doctrine de certification différenciée.


Un système binaire (autorisé/interdit) ne suffit pas.


Il faut construire une logique de graduation du contrôle et de l’accompagnement, avec un dispositif lisible pour les acteurs : auto-certification renforcée pour les usages standards, évaluation tierce pour les usages sensibles, supervision continue pour les secteurs critiques.


Un label public “IA d’intérêt général” pourrait servir de référence, à l’image des labels bio ou des certifications en cybersécurité.



c. Propulser une IA compétitive et responsable


L’ambition d’une IA souveraine ne peut se limiter à la maîtrise technologique : elle doit aussi viser la compétitivité économique et l’attractivité internationale.


Pour cela, la puissance publique doit créer un environnement propice à l’innovation, capable de soutenir les acteurs émergents tout en projetant une vision française de l’IA à l’échelle globale.



  • Allègements réglementaires ciblés pour l’innovation.


La France doit permettre des zones de test encadrées – véritables bacs à sable réglementaires – dans lesquelles des IA innovantes peuvent être expérimentées sous la supervision des autorités compétentes.


Cette logique permet d’articuler sécurité juridique et rapidité d’itération, à l’image des démarches menées en fintech ou en santé numérique.



  • Attirer et retenir les talents.


L’IA est une guerre de compétences. Cela suppose des mesures fortes : simplification des titres de séjour pour les chercheurs et ingénieurs en IA, accès facilité au capital pour les talents entrepreneurs, politiques de rémunération compétitives dans les institutions publiques stratégiques.


L’administration doit devenir un pôle d’excellence, pas un repoussoir.



  • S'affirmer à l’international.


L’IA française doit exister hors de ses frontières. Abu Dhabi n’est qu’un début : il faut assumer une stratégie de présence active dans les hubs d’innovation (Singapour, Montréal, Tel-Aviv), construire des alliances technologiques autour de valeurs partagées, et faire entendre une voix française dans les grands forums internationaux, aux côtés mais non sous la tutelle des régulations européennes.




5 principes pour une IA publique souveraine


1. Souveraineté technologique non négociable


2. Régulation différenciée selon les usages


3. Transparence sur les modèles et les données


4. Promotion de l’innovation responsable


5. Interopérabilité européenne et projection globale




WISER AVOCATS — Cabinet indépendant fondé par Me Hannan Otmani, dédié à la structuration de doctrines juridiques appliquées aux grands enjeux technologiques et institutionnels. 




Cette note stratégique est publiée dans une perspective de dialogue constructif sur les fondements juridiques, techniques et démocratiques du chiffrement.



Cette note a été rédigée, structurée et publiée en amont de toute reprise institutionnelle ou sectorielle du sujet.

Elle constitue une réflexion originale, documentée et signée, relevant d’une souveraineté intellectuelle assumée. Toute réutilisation non créditée serait contraire à l’esprit de rigueur et d’intégrité que cette démarche revendique. 



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