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IA quantique : anticiper la prochaine faille, structurer une doctrine de souveraineté

  • Photo du rédacteur: Hannan Otmani
    Hannan Otmani
  • 19 mai
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 22 mai



Doctrine WISER Avocats

Une réflexion portée par Maître Hannan Otmani, avocate au barreau de Paris.











Introduction doctrinale


L’IA quantique fait partie de ces mutations technologiques silencieuses dont les effets ne se mesurent pas en capacité brute, mais en asymétrie stratégique. Elle ne relève ni de la science-fiction, ni de la spéculation académique.


Elle constitue une rupture structurelle annoncée, à la croisée de deux technologies critiques : l’intelligence artificielle et l’informatique quantique.


Le défi est double : alors même que l’Europe peine encore à structurer une doctrine cohérente de souveraineté numérique, elle s’expose à un bouleversement de son architecture de confiance – cryptographique, contractuelle, diplomatique – par l’émergence de puissances capables de tirer parti, avant elle, des effets de rupture qu’introduit le quantique.


Cette note propose une grille de lecture stratégique du sujet, volontairement synthétique. Elle n’entend ni modéliser les performances futures du quantique, ni évaluer l’état de préparation des industriels, mais poser les bases d’un positionnement doctrinal minimal de l’État face à cette transformation.


L’IA quantique ne relève pas uniquement de la modélisation technique : elle incarne un tournant géopolitique majeur.


En alliant calcul à très haute intensité et logique d’apprentissage, elle redéfinit les conditions d’accès à la connaissance, à la simulation stratégique et à la prise de décision automatisée.


Elle appelle une stratégie française de souveraineté cognitive : gouverner les infrastructures, anticiper les usages, et protéger les conditions d’un débat démocratique informé.




1. Déchiffrer l’IA quantique : clarification technique et rupture stratégique


L’IA quantique désigne des algorithmes d’IA conçus pour s’exécuter sur des ordinateurs quantiques.


Ce n’est pas une intelligence artificielle plus « intelligente », mais une IA s’appuyant sur une puissance de calcul radicalement différente (qubits, superposition, intrication).


Les applications les plus probables concernent :

– l’optimisation complexe (logistique, défense, marchés),

la cryptanalyse (avec une menace directe sur les systèmes RSA),

la simulation de systèmes physiques (santé, climat, armement).


Ce changement d’échelle crée une asymétrie structurelle entre les États qui auront accès à ces puissances de calcul et ceux qui continueront à raisonner dans une logique binaire classique.



2. Trois angles morts du débat public à combler


1. Illusion de l’échéance lointaine

Les premières ruptures auront lieu avant la maturité commerciale.


2. Illusion technique

Penser que seul le quantique physique est en jeu, alors qu’il s’agit aussi d’architecture logicielle, de dépendance cloud et de contrats critiques.


3. Illusion réglementaire

Croire que l’AI Act suffit, alors que l’IA quantique appelle un cadre doctrinal spécifique, à la croisée du droit, de la sécurité et de la stratégie industrielle.



3. Vers une doctrine française et européenne de résilience quantique


Une doctrine publique crédible ne se contente pas d’alerter : elle structure une capacité d’action. L’IA quantique, par les déséquilibres systémiques qu’elle rend possibles, impose aux institutions publiques un positionnement clair et opérationnel.


1. Reconnaissance officielle du risque technologique quantique

Le Gouvernement doit reconnaître formellement l’IA quantique comme une catégorie de risque stratégique.


2. Création d’un Observatoire public des ruptures technologiques

Rattaché au SGDSN ou au Premier ministre, cet observatoire aurait pour mission d’anticiper et de cartographier les risques technologiques systémiques.


2 bis. Poser une doctrine d’interprétabilité souveraine

La combinaison IA + quantique ne doit pas aboutir à une automatisation opaque des décisions critiques.

Une doctrine nationale de résilience doit intégrer l’exigence d’interprétabilité algorithmique, via des standards publics, des protocoles audités, et un encadrement clair des usages sensibles.


3. Inclusion de clauses d’anticipation quantique dans les contrats publics

Les marchés publics technologiques doivent intégrer des exigences d’évolutivité face aux ruptures quantiques.


4. Déploiement d’un programme public de jumeaux quantiques souverains

Développer une infrastructure de calcul quantique souveraine, sécurisée, dédiée à des usages critiques.


4 bis. Intégrer l’IA quantique dans les logiques de défense nationale

L’IA quantique ouvre des perspectives inédites en simulation militaire, détection d’anomalies ou cryptanalyse.

La France ne peut laisser à d’autres le soin d’explorer seuls ces usages duals.

Une doctrine responsable implique d’adosser ces recherches à un cadre démocratique, civil, mais connecté aux enjeux de sécurité nationale.


5. Définition d’une position diplomatique européenne sur la gouvernance quantique

Porter une ligne diplomatique claire sur la non-prolifération des usages hostiles de l’IA quantique.


6. Articuler une doctrine européenne de résilience quantique

La France ne peut bâtir seule une doctrine de souveraineté face à des ruptures qui dépassent ses frontières techniques.

Il est impératif d’inscrire sa stratégie dans une logique européenne cohérente, en lien avec l’ENISA (cybersécurité), le programme EuroHPC (calcul intensif) et l’émergence d’un cloud de confiance certifié (EUCS).

Ces piliers doivent converger autour d’un même principe : garantir aux États membres une autonomie opérationnelle, sans dépendre de standards extra-européens non maîtrisés.




Encadré doctrinal — L’irréversibilité des ruptures technologiques


Les ruptures technologiques sont rarement réversibles : une fois franchies, elles reconfigurent durablement les rapports de puissance.


Ne pas anticiper l’impact de l’IA quantique aujourd’hui, c’est accepter demain un déclassement juridique, industriel et stratégique.


La résilience ne se décrète pas après coup. Elle se construit par une doctrine, un cadre d’action, et une projection sur le temps long.




Conclusion — Souveraineté par la doctrine, non par la réaction


L’IA quantique n’est pas une projection lointaine. Elle est un révélateur de notre capacité collective à anticiper ce qui transforme silencieusement les équilibres de pouvoir.


La puissance ne se décrète pas, elle se prépare. Et l’inaction face aux ruptures technologiques majeures n’est pas une prudence : c’est une vulnérabilité consentie.


Face aux asymétries que génère le déploiement inégal de l’informatique quantique, seule une doctrine publique, lucide et assumée, peut permettre à un État de préserver son autonomie de décision, son intégrité technique et la confiance des acteurs économiques et institutionnels.


La souveraineté ne consiste pas à maîtriser toutes les technologies. Elle commence par le choix de ne pas déléguer à d’autres le soin de définir nos seuils de résilience.


Penser l’IA quantique, c’est penser l’ordre juridique et stratégique du XXIe siècle.


La France ne peut plus se permettre de subir les ruptures ; elle doit structurer une doctrine souveraine, juridiquement robuste, technologiquement crédible, et lisible à l’échelle européenne.


Il est encore temps de structurer cette doctrine. Mais ce temps se compte désormais en mois, non en décennies.



Gouverner les standards avant de les subir


Les grandes puissances ne se contentent pas d’innover : elles imposent leurs standards.


Ce qui est aujourd’hui un algorithme devient demain une norme implicite — régulant à distance nos pratiques, nos institutions, nos contrats.


Si la France veut préserver son autonomie dans l’ordre technologique à venir, elle doit refuser la simple adoption passive.


Cela suppose de formuler des standards publics souverains, de négocier leur reconnaissance, et d’en anticiper les effets juridiques.


L’IA quantique, par sa portée systémique, doit être pensée non comme une technologie à encadrer, mais comme un vecteur de redéfinition du droit.



Redéfinir la norme par la doctrine


L’enjeu n’est pas seulement de se protéger. C’est d’être en capacité de formuler une norme techno-juridique capable de peser dans les équilibres futurs.


La France a la légitimité intellectuelle, diplomatique et institutionnelle pour proposer une doctrine d’IA quantique responsable, interopérable et souveraine.


Encore faut-il qu’elle cesse d’attendre.






WISER AVOCATS — Cabinet indépendant fondé par Maître Hannan Otmani, dédié à la structuration de doctrines juridiques appliquées aux grands enjeux technologiques et institutionnels.


Note stratégique rédigée et signée par son associée fondatrice, avocate au barreau de Paris.










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