L’amendement[1] présenté par le sénateur, M. Hervé Maurey, le 12 Décembre dernier, marque une grande accélération dans l'application des exigences posées par la réglementation européenne MiCA[2] en France. Aujourd'hui, mardi 24 Janvier, il sera soumis au vote des parlementaires.
Promouvoir l’essor de l’innovation est un axe fondamental de compétitivité et d’attractivité pour la France et l’Europe. Mais « Innovation » ne doit pas rimer avec « Far West ».
S’il apparaît opportun de réguler l’industrie des crypto-monnaies pour instaurer le cadre de confiance nécessaire en protégeant les investisseurs et en assurant la transparence des transactions, il est crucial de trouver un juste équilibre dans la définition et le déploiement d’un cadre législatif et réglementaire répondant de façon harmonisée aux véritables enjeux de l’univers des crypto-actifs à l’échelle de la France et de l’Europe.
L’amendement « vise à imposer à tout acteur voulant exercer la profession de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) d’être agréé au préalable par l’Autorité des marchés financiers (AMF) à compter, au plus tard, du 1er octobre 2023 ».
Cet amendement a été introduit en réponse au récent scandale survenu sur la deuxième plateforme mondiale de trading de crypto-monnaies, FTX, qui s’est effondrée en quelques jours après des révélations chocs[3] sur ses pratiques douteuses. Conflits d’intérêt, opacité, gestion financière désastreuse, la faillite du géant FTX a eu un effet domino sur d’autres acteurs du secteur et a largement ébranlé la confiance des investisseurs et du grand public dans les cryptomonnaies.
« Dans le cadre de la loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi Pacte[4]), la France a en effet mis en place un système pionnier pour les PSAN, appuyé sur un mécanisme à deux étages : un enregistrement obligatoire et un agrément optionnel. (…) Plus difficile à obtenir, l’agrément tient compte d’éléments plus complets sur la situation des actionnaires et du prestataire (situation financière, exigence de fonds propres, états financiers règlementaires, assurance, sécurité du système informatique, etc.). Aujourd’hui, aucun PSAN n’a demandé son agrément tandis qu’une soixantaine de prestataires sont enregistrés. (…). »
Ainsi, le texte « doit permettre de fermer la procédure d’enregistrement et d’imposer celle de l’agrément, pour éviter tout détournement du cadre règlementaire. »
Si le gouvernement a d’emblée émis un avis défavorable[5], l’amendement dispose de l’aval de l’AMF et de la Banque de France.
Mme Barbat-Layani, présidente de l'AMF, et ancienne dirigeante du lobby bancaire[6], a d’ailleurs rappelé lors de son récent discours[7] :
« Être le régulateur d’une grande place financière, cela signifie aussi que nous devons donner sa juste place à l’innovation. (..) Cela ne signifie pas que l’on doive être dans le laisser-faire béat ou le n’importe quoi. Chacun ici a en tête l’affaire FTX. (…) Évidemment, il est nécessaire que l’univers crypto fasse maintenant clairement le choix de la régulation et de la protection des investisseurs. (…) L’AMF, comme le parlement, appelle de ses vœux une accélération du passage au régime d’agrément obligatoire pour les prestataires qui ne sont pas enregistrés aujourd’hui. »
Le sous-gouverneur de la Banque de France, M. Beau, a notamment expliqué que la mise en place de ce dispositif lui semblait inévitable.
M. Villeroy de Galhau, Gouverneur de l’institution, Président de l’ACPR, ne manque pas de souligner : « Sur les crypto-actifs, tous les désordres de 2022 nourrissent une conviction simple : il est souhaitable que la France passe dès que possible à l’agrément obligatoire des PSAN (prestataires de services sur actifs numériques) plutôt qu’à leur simple enregistrement. Et ce bien avant l’entrée en application de MiCA pour instaurer un cadre de confiance nécessaire.[8] »
Concrètement, ce dispositif français ne solutionne pas les risques de fraudes mis en évidence dans l’affaire FTX, et semble davantage s’inscrire dans le cadre d’une réaction régulatoire française exemplaire aux évènements qui ont jeté le discrédit sur l’industrie des crypto-monnaies ; la France ayant fait le choix de se positionner en pionnier en matière législative et réglementaire.
Ceci étant, cette procédure d’agrément complexe et son calendrier intenable (s’il venait à être validé en l’état par les députés) creusent un fossé entre la France et les autres pays sur le marché dynamique des cryptoactifs. Le risque est que la France perde en attractivité et en compétitivité, avec des entreprises françaises contraintes d’élire domicile dans un pays plus « crypto-friendly » (comme la Suisse, Malte, les Pays-Bas etc.) et des utilisateurs/ investisseurs se désintéressant complètement des plateformes françaises.
C’est dans ce contexte, que l’Union Européenne retarde le vote sur le règlement MiCA et le reporte au mois d’Avril, alors qu’il devait avoir lieu au mois de Février.
Hannan OTMANI
[1] https://www.senat.fr/amendements/2022-2023/187/Amdt_62.html [2] Le projet de règlement européen sur les marchés de crypto-actifs (« Markets in Crypto-Assets » ou « MiCA ») a fait l’objet d’un accord politique provisoire le 30 juin à l’issue de la phase de négociations interinstitutionnelles (trilogues) entre le Parlement, le Conseil et la Commission européenne. [3] Ce sont plus précisément les relations entre FTX, place de marché centralisée basée aux Bahamas et fondée par Sam Bankman-Fried (« SBF »), et Almeda Research, un fonds d’investissement appartenant aussi à SBF, qui ont déclenché l’affaire. https://www.challenges.fr/economie/la-faillite-de-ftx-un-des-geants-des-crypto [4] La loi PACTE (Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises) de 2019 a introduit la réglementation des actifs numériques en France en créant la catégorie des "prestataires de services sur actifs numériques" (PSAN). Ces entreprises sont soumises à des exigences réglementaires spécifiques visant à garantir la conformité, la transparence et la sécurité des fonds des utilisateurs. Les entreprises qui souhaitent s’enregistrer en tant que PSAN doivent soumettre une demande auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF). [5] Représenté par M. Jean-Noël Barrot, Ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications, séance publique du 13 Décembre 2022 [6] À peine nommée présidente, Marie-Anne Barbat-Layani subit de vives critiques en raison de son passé à la tête du lobby bancaire, soulevant des questions sur l'indépendance du gendarme des marchés. Dénonçant « un équilibre rompu» au sommet de l'Autorité des marchés financiers, le fondateur et dirigeant de l'ONG Finance Watch, Thierry Philipponnat a démissionné de son mandat au sein du Collège de l'AMF (Autorité des marchés financiers), le principal organe de décision.
https://www.lefigaro.fr/conjoncture/l-independance-du-gendarme-des-marches-en-question-apres-la-nomination-de-sa-nouvelle-presidente-20221027#:~:text=Le%20pr%C3%A9sident%20de%20l'ONG,'ind%C3%A9pendance%20de%20l'institution. https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/industrie-financiere/marie-anne-barbat-layani-va-devenir-la-premiere-femme-a-la-tete-de-l-amf-934789.html
https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/11/30/comment-le-lobby-bancaire-colonise-bercy_6021137_3232.html
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